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5 questions pour comprendre l’effondrement de la biodiversité

Actualités- Mis à jour le 21 juin 2024

Arbres, fleurs, oiseaux, papillons… Dans la région, 30 à 50 % des espèces qui vivent autour de nous sont menacées de disparition selon les scientifiques. Pourquoi ce déclin ? Et surtout que faire pour inverser la tendance ? Les réponses de Laurent Godet, biogéographe à Nantes Université.

Laurent Godet, biogéographe, directeur de recherche au CNRS et à Nantes Université. © Romain Boulanger
Laurent Godet, biogéographe, directeur de recherche au CNRS et à Nantes Université. © Romain Boulanger

La faune et la flore déclinent. Quelle est la situation ?

« Nous sommes face à un déclin général du monde vivant, en nombre d’espèces comme en effectifs. En 50 ans, un tiers des abondances d’oiseaux – c’est-à-dire la quantité d’individus pour une même espèce - a disparu en Amérique du Nord. Cette érosion affecte des espèces d’oiseaux aussi communes que l’Alouette des champs. Les estimations sont du même ordre concernant les insectes en Allemagne, avec une disparition de 30 % des abondances en moins de 10 ans. On a parfois du mal à dater le début de cette crise. Certains la font remonter à la fin de l’âge de glace avec la disparition de la mégafaune (comme les mammouths). D’autres au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Malgré ces débats, il y a un consensus scientifique sur son ampleur. On parle d’une crise d’extinction du vivant – la 6e après la disparition des dinosaures au Crétacé - parce qu’elle affecte toute la planète, et sur un temps relativement court à l’échelle géologique. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature, 800 espèces ont disparu depuis les années 1500. On sait que ce chiffre est largement sous-estimé car il prend en compte les espèces les mieux connues (mammifères, oiseaux, amphibiens, reptiles) mais les moins nombreuses. Certaines publications estiment plutôt autour de 150 000 à 200 000 le nombre d’espèces qui se sont éteintes depuis le 16e siècle. »

Quelles sont les raisons de cette crise ?

« Il ne fait plus aucun doute aujourd’hui que la crise que nous traversons est d’origine anthropique, c’est-à-dire due à l’Homme. Paradoxalement, on en connaît bien les causes : la fragmentation et la destruction des milieux naturels liées notamment à l’urbanisation (par exemple, une forêt coupée en quatre par des routes), la surexploitation des espèces naturelles (surpêche, déforestation…)  ; les pollutions, en particulier l’impact désastreux des pesticides qui sont aujourd’hui reconnus comme la première cause du déclin des oiseaux en Europe ; la propagation d’espèces exotiques envahissantes qui en supplantent d’autres. Et enfin, le changement climatique. Les phases de réchauffement et de refroidissement sont constantes dans l’histoire de la Terre. Mais, aujourd’hui, le changement généré par les activités humaines est si brutal et rapide que certaines espèces ont du mal à s’adapter. »

Le réchauffement climatique généré par les activités humaines est aujourd’hui si brutal et rapide que certaines espèces ont du mal à s’adapter.
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Y a-t-il des solutions pour inverser la tendance ?

« Les aires protégées et l’interdiction de chasse d’espèces en danger ont eu un effet bénéfique indéniable. Les rapaces et les hérons par exemple sont redevenus des espèces communes dans les champs, et parfois en ville. Mais ce sont des confettis à l’échelle planétaire. On ne sortira pas de cette crise par des mesures uniquement techniques. Il faut agir sur les causes de cette érosion à tous les échelons, au niveau des politiques internationales, régionales, locales, au niveau des communes, des particuliers dans leur vie de tous les jours… On doit tous se poser les bonnes questions : a-t-on réellement besoin d’une nouvelle rocade ou d’un nouveau centre commercial ? Les zones artisanales, commerciales, les routes, les lotissements, ont explosé ces cinquante dernières années en France. À chaque fois, ce sont autant d’espaces naturels perdus, fragmentés, et de perturbations pour les animaux et les plantes. »

C’est fascinant de voir la vitesse à laquelle la biodiversité revient dans un jardin laissé en libre évolution.

« L’artificialisation des sols est un levier d’action important. Mais il y a d’autres solutions parfois assez simples à mettre en œuvre, comme de réduire les pollutions lumineuses (lire ci-dessous) ou encore de laisser la nature tranquille. Si vous avez une parcelle, laissez-la vivre sa vie. Vous n’êtes pas obligé de tondre ou de débroussailler. Les gens n’aiment pas les friches car ça fait un peu fouillis. Pourtant, entre un gazon bien taillé et une pelouse un peu sauvage, la diversité en papillons est sans commune mesure. On peut commencer sur une petite partie de son jardin. C’est fascinant de voir la vitesse à laquelle la biodiversité peut revenir dans un espace laissé en libre évolution. À Nantes, nous avons l’exemple de la Petite Amazonie (zone classée Natura 2000). Ce site, jamais urbanisé depuis les bombardements alliés en 1944 et le dépôt des remblais pour la construction des voies de chemin de fer et de la Tour de Bretagne, abrite quelques décennies plus tard une nature exubérante et de nombreux animaux : martre, écureuil, blaireau, renard, bécasse, héron pourpré ou cendré… »

Vous menez une expérience sur l’influence de l’éclairage public sur le chant des oiseaux. En quoi consiste-t-elle ?

« Les rythmes jour/nuit sont l’horloge biologique du vivant. Quand on dérègle cette horloge, par des lumières artificielles notamment, on perturbe les organismes. Le chant des oiseaux, qu’on peut enregistrer en continu, est un bon indicateur de ces changements. En 2022, lors d’une étude sur 36 sites depuis Saint-Nazaire jusqu’au bocage à Saint-André-des-Eaux, nous avons observé que, dans les zones rurales éclairées par les lampadaires, les oiseaux se mettent à chanter plus tôt. À mesure qu’on rentre dans la ville, dans un environnement très urbain, ils chantent aussi de moins en moins longtemps. Ce qui est ici en jeu, ce n’est pas (uniquement) la beauté de ces chorus, c’est aussi la reproduction de l’espèce, car un oiseau attire son partenaire par le chant. En 2025, nous allons mener une expérience avec la direction de l’éclairage public de Nantes Métropole pour voir si le fait de diminuer l’intensité des lampadaires ou d’éclairer moins longtemps les rues peut avoir une influence sur leur chant, et donc leur capacité à communiquer. Le vivant a une plasticité incroyable. Notre hypothèse est que leur rythme d’activité vocale peut se rétablir assez vite. Des études en Amérique du Nord ont prouvé que, quand on interrompt le bruit du trafic routier le temps d’un chantier par exemple, les oiseaux retrouvent leur fréquence et leur amplitude de chant en quelques jours seulement. En 2024, nous observons leur rythme d’activité dans trois configurations différentes : sans lampadaire, avec un éclairage toute la nuit ou pendant une partie de la nuit seulement. Et en 2025, nous ferons des expériences d’extinction dans certains quartiers à Rezé, Bouaye et Bouguenais, là où cette réduction est compatible avec la sécurité ou le sentiment de sécurité des habitants. Les lumières artificielles sont une source de pollution sur laquelle les villes peuvent agir assez facilement, en éclairant à plus faible intensité, à moins d’endroits ou moins longtemps dans le temps et dans l’espace. Et ce sont aussi des économies d’énergie et de maintenance. »

La biodiversité est une source d’émerveillement permanent.

Pourquoi est-il primordial de protéger la faune et la flore autour de nous ?

« Parce qu’elles sont essentielles à notre survie. Nous avons tendance à voir la biodiversité comme une petite collection d’espèces épinglées dans la vitrine d’un muséum. Mais c’est un tissu dont on fait partie, une toile dynamique dans laquelle nous sommes totalement imbriqués. L’Homme tout seul ne vit pas. C’est une petite espèce, très récente, parmi un peu plus de 2 millions. Un simple maillon de la chaîne. Nos fonctions vitales (boire, manger, respirer) dépendent des autres espèces. C’est la théorie des rivets. Un avion ne va pas s’écrouler parce qu’un seul rivet tombe. Quand deux tombent, ce n’est pas grave, mais quand il y en a dix en moins, ça commence à devenir problématique. Et au bout d’un moment, plus rien ne tient. Ce qui nous inquiète aujourd’hui, c’est que nous sommes en train d’enlever beaucoup, beaucoup, de rivets… Si on n’agit pas vite, nous risquons d’assister à des déséquilibres en cascade, qui surviendront de manière brutale. Toutefois, il ne faudrait pas voir la nature uniquement à travers les services écosystémiques qu’elle rend aux humains. Nous devons avant tout respecter et protéger la biodiversité parce que c’est l’altérité et une source d’émerveillement permanent. »